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Le « Fonds Marianne » a-t-il servi à financer des officines de propagande proches du pouvoir ?

Mai 12, 2023 | 3 commentaires

PARTIE 1 : La promotion de Conspiracy Watch et de ses trois bénéficiaires par de l’argent public. 

Capture de l’émission #18 de « Les Déconspirateurs », sur la chaîne Youtube de Conspiracy Watch.

Une subvention doublée

La Licra

Capture de la home-page sur le site internet de Sapio.

C’est bien plus que les « une ou deux vidéos » que Monsieur Reichstadt dit avoir fait pour ce projet dans l’article de Check-News, une ultra-minimisation que les « fact-checkeurs » n’ont pas (ou plutôt feint de ne pas) relever. En parcourant davantage le site, on retrouve également l’importante contribution de Tristan Mendès France : l’autre « expert » de l’anti-conspirationnisme co-gérant du projet « RiPOST » ressort dans non moins de 29 résultats de recherche, dont 8 vidéos d’interviews. Précisons cependant, en vertu d’une présentation honnête des faits, que plusieurs « experts » parmi ces « contenus-ressources » ne semblent pas avoir de lien avec la fondation de Rudy Reichstadt. Mais outre qu’ils sont davantage légitimes par leur statut de chercheur, le contenu du site nous montre une contribution bien moindre. Par exemple : plusieurs vidéos font l’interview de Boris Adjemian, un docteur en histoire qui dirige la Bibliothèque NUBAR, mais seulement sur le thème du génocide arménien. En comparaison, Tristan Mendès France, qui n’est docteur en rien, contribua à tous les thèmes listés par la plateforme sauf celui du sport. Et contrairement à Reichstadt, l’historien chercheur n’apparaît pas sur la page principale du site. Quoi qu’il en soit, le fait que « Sapio » participe à la promotion des acteurs de Conspiracy Watch est d’une évidence grossière. Tellement grossière que Check-News – bien qu’en ayant soigneusement omis son ampleur – interrogea la Licra sur ce soupçon d’un double financement, laquelle réfuta ne pas avoir « rémunéré l’expert ». En admettant que cette réponse soit honnête, une telle publicité auprès d’un public cible de professeurs et d’étudiants peut engendrer de bien des manières un potentiel bénéfice indirect, dès lors qu’il s’agit de pseudos « experts » qui vivent d’appels aux dons, de services privés ou de la vente de livres. 

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AP2L et la série « Conspirations ? »

Et en matière d’œuvre promotionnelle pour Rudy Reichstadt et ses alliés, on peut dire que la série « Conspirations », pour laquelle l’agence de production AP2L a reçu 20 000 euros du Fonds Marianne, représente un bel exemple. Sur ces dix vidéos diffusées par la chaîne LCP, la moitié est consacrée à sa parole unique, tandis que la moitié restante est réservée à celle d’un autre de ses plus proches collaborateurs connus, le journaliste Thomas Huchon.

Série « Conspirations ? » diffusée sur la chaîne LCP.

Il n’est d’ailleurs pas nouveau que les deux hommes s’associent autour de projets communs. Outre sa participation régulière à l’émission « les déconspirateurs », Thomas Huchon est notamment le réalisateur de « Infodemic: comment le covid19 est devenu la machine à conspis », un documentaire de 29 minutes principalement composé de l’entretien avec deux « experts » de l’anti-complotisme : Gérald Bronner, et surtout, Rudy Reichstadt. Or, il se trouve que l’entreprise à l’origine de sa production, la plateforme de streaming Spicee, figure aussi – quelle heureuse coïncidence ! – parmi la liste des bénéficiaires du Fonds Marianne, dont elle reçut la modeste somme de 70 000 euros.

Image extraite de « Infodemic : Comment le covid19 est devenu la machine à conspi », réalisé par Thomas Huchon et diffusé sur Spicee.

Spicee Educ

Toujours selon Check-News, cette subvention aurait servi à la création de « Spicee Educ », d’un modèle très similaire au projet « Sapio » avec des contenus à vocation « pédagogique » davantage centrés sur le thème du « complotisme » et de la désinformation. A la différence notable que les « ressources » présentées ici n’ont rien de productions originales : il s’agit, en majorité, de vidéos divisées en formats courts, dont une partie étaient produites bien avant 2021. Si certaines étaient disponibles en accès libre via d’autre médias (on y trouve, par exemple, la série « Oh My Fake » du quotidien 20minutes, « l’Escape News » présenté par Thomas Soto sur la chaîne France 4, ou encore la série « Mytho » pour laquelle une autre association bénéficiaire (Lumière sur Info) a reçu 50 000 euros) elles sont pour la plupart tirées de documentaires produits et diffusés par Spicee. Et là aussi, on peut dire que Rudy Reichstadt bénéficie d’une présence de choix. Parmi ces contenus, on retrouve le fameux Infodemic dans lequel le « complotologue » est co-exclusivement interviewé, découpé en 6 vidéos dans le parcours « Théorie du complot », 11 vidéos de « Covid19 : Fantasmes et mensonges » (formant l’essentiel du ce parcours), et 6 vidéos dans celui intitulé « Le cerveau : ami ou ennemi ? ».

Reichstadt semble être aussi le seul sujet filmé de la série « Le petit dico des conspis » (du moins, d’après l’extrait que nous avait pu retrouver sur Youtube) intégré dans le premier parcours (9 vidéos) et le troisième baptisé « Educations aux médias » (8 vidéos). Quant à Thomas Huchon, il est tout simplement partout. Outre cette distribution d’Infodemic, ses autres réalisations Conspi Hunter : comment nous avons piégé les complotistes, Conspi Hunter : spécial 11 septembre, Unfair Game, comment Trump a manipulé l’Amérique, la Nouvelle fabrique de l’opinion, L’homme qui murmurait à l’oreille de Trump et Scandale Cambridge Analytica, nouvelles révélations – bref, autant dire l’intégralité de sa filmographie se retrouve sous forme décomposée ou non (5). On y découvre même la capsule qu’il avait faite pour le média Konbini sur l’effet « Dunning-Kruger » par au moins deux fois. C’est dire si « Spicee Educ » ressemble tout simplement à une plateforme promotionnelle pour le journaliste « ami » et contributeur de Conspiracy Watch. 

Notons au passage que, pour ce qui est de la pertinence de ces « ressources » en matière de lutte contre les fake-news, on repassera. Dans le cas de Infodemic, c’est près d’un quart du documentaire qui est consacré au sondage mené par la fondation Jean Jaurès (en partenariat avec Conspiracy Watch), censé montrer que l’idée que le virus Sars-Cov-2 a été fabriqué en laboratoire serait non seulement fausse mais surtout essentiellement partagée par des partisans de l’extrême-droite. Une sorte de minable déshonneur par association pour une hypothèse qui, comme on le sait, est désormais considérée comme la plus plausible par bon nombre de scientifiques et admise par l’OMS elle-même. Cette réfutation erronée, largement propagée par les « fact-checkeurs » avant de devoir faire volte-face dès 2021, se retrouve dans la séance 3 du programme « Covid, Fantasme et Mensonges » de Spicee Educ. Sous la partie intitulée « Les personnalités n’ont pas toujours raison ! », l’éducateur est invité à présenter aux élèves le cas suivant : « Le professeur Montagnier, prix Nobel de Médecine, affirme que le Covid19 a été fabriqué en laboratoire. Quelle peut-être la conséquence de cette affirmation sur le grand public ? Pourquoi ? ». L’idée est de montrer qu’il faut se méfier de la « crédibilité » que nous donnons à une personne de par son statut. Il y est également proposé un « atelier » pour montrer comment les « complotistes » utilisent une rhétorique opposant « un héros à la solution miracle » contre un « ennemi commun diabolisé au maximum ». À la lecture des trois exemples proposés (Pr Montagnier / Didier Raoult / Bill Gates), on se doute qui sont censés être des héros fantasmés et le pauvre ennemi « diabolisé »… Si la logique de « fabrication de l’ennemi » est légitime pour comprendre les discours fallacieux, les exemples choisis non sans hasard ont de quoi donner à ces « fiches » un caractère ironique. 

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On résume. Rudy Reichstadt qui a déjà reçu 60 000 euros du Fonds Marianne pour le média qu’il a fondé, doublant au passage sa subvention annuelle du CIPDR, est particulièrement présent dans les contenus de 3 autres bénéficiaires : la Licra, AP2L et Spicee. Tandis que deux de ses plus proches collaborateurs, Tristan Mendès France et Thomas Huchon y illustrent pour chacun une contribution essentielle. Est-ce à dire que les acteurs de Conspiracy Watch auraient plusieurs fois bénéficié du Fonds Marianne, sous 4 relais différents ? Si on ne peut faire de conclusions hâtives en spéculant sur l’idée qu’ils en auraient tiré à chaque fois une rémunération, reste que cette « similarité » de contenus et d’experts interroge sur un rôle potentiellement influent dans le choix des projets sélectionnés. 

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Un projet déjà financé ?

Mais au fait, quel était ce fameux projet « RiPOST » pour lequel Conspiracy Watch a reçu cette subvention du fonds créé en l’honneur de Samuel Paty ? Et bien, il se trouve qu’il s’agissait d’un projet mené en collaboration avec l’organisme « UE Disinfo Lab » qui date de juillet 2020, soit plus d’un an avant le terrible assassinat du professeur d’histoire géographie et la création du fonds censé lui rendre hommage. Cette subvention n’a donc absolument pas servi à soutenir la création d’un nouveau projet qui justifierait son financement. Et surtout, il était déjà financé par le CIPDR (donc l’Etat), en outre d’un partenariat avec Google et Bing (qui ne manque pas d’argent), ainsi que… l’Institute For Strategic Dialogue. Un autre bénéficiaire du Fonds Marianne qui semblerait avoir un rôle particulièrement intriguant dans le choix des lauréats : c’est ce que nous verrons dans la dernière troisième et dernière partie de cette enquête à suivre…

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Auteur : Amélie Ismaïli.

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(1) Voir à ce sujet, la debunking de Pierre Chaillot sur sa chaîne Décoder l’eco : https://www.youtube.com/watch?v=G0OjIB2NeSU&t=98s

(2) La rumeur de collusion entre Donald Trump et le Kremlin dans l’élection américaine de 2016. Rumeur qui s’est avéré infondée et fabriqué par un faux dossier (« le dossier Steel »), dont le rapporteur sera inculpé pour mensonges par la justice américaine.

(3) Dans le communiqué sur l’Appel à projets national 2021 « Fonds Marianne », y est stipulé dans les « 1. Critères d’éligibilité » que « Cet appel à projets a pour but de soutenir des actions en ligne, à portée nationale, destinées aux jeunes de 12 à 25 ans exposés aux idéologies séparatistes qui fracturent la cohésion nationale et abiment la citoyenneté. »

(4) Thread du compte « Mounotella » .

(5) Voir la rubrique « Documentaire à regarder en classe » sur Spicee Educ.

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3 Commentaires

  1. Christophe Ait-cheikh

    Très bonne analyse et très bon travail. Vous avez entièrement raison, il faut dénoncer la complaisance et la corruption de ces imposteurs modernes qui se veulent vérificateurs de fait et ne sont que des désinformateurs minables et corrompus par le pouvoir profond, ils faut essayer d’ainsi mettre en lumière leur mafia en bande organisée.

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  2. Thomas Cailleretz

    Toujours très intéressant vos articles. Bravo pour ce que vous faites. Ps: pourriez vous en faire une vidéo sur votre chaîne ? Car en vidéo c’est toujours plus facile à partager

    Réponse
  3. Bernard Maginot

    Bravo !

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